Les représentants à l’Assemblée de la Polynésie française se sont réunis le jeudi 4 octobre 2007, sous la présidence d'Edouard Fritch afin d’examiner pour avis le projet de Loi organique et un projet de loi simple tendant à renforcer la stabilité des institutions et la transparence de la vie politique en Polynésie française présenté par le secrétaire d’Etat Christian Estrosi.
Le Sénateur Gaston Flosse dans son allocution a déclaré que le projet de loi organique sur lequel les représentants été consultés contenait quelques articles intéressants qui apportent des précisions utiles sur le fonctionnement des institutions. Il a estimé qu’il contenait également des mesures judicieuses pour renforcer la transparence de la vie publique et que le Tahoeraa Huiraatira soutiendrait sans réserve toutes les dispositions qui peuvent améliorer la transparence et renforcer les contrôles nécessaires. C’est pourquoi, le mouvement émettra un avis favorable sur ces articles, mais n’approuvera pas l'ensemble du projet de loi. « Nous préciserons pour chaque article nos objections motivées et nous proposerons des amendements. » a rajouté le Sénateur Gaston Flosse avant d’entamer une étude détaillée.
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Allocution du Sénateur de la Polynésie française Gaston Flosse
Le projet de loi organique sur lequel nous sommes consultés contient quelques articles intéressants qui apportent des précisions utiles sur le fonctionnement de nos institutions. Il contient également des mesures judicieuses pour renforcer la transparence de notre vie publique. Il va de soi que le Tahoeraa Huiraatira soutient sans réserve toutes les dispositions qui peuvent améliorer la transparence et renforcer les contrôles nécessaires. Nous émettrons donc un avis favorable sur ces articles.
Malheureusement nous ne pourrons pas approuver l'ensemble du projet de loi. Nous préciserons pour chaque article nos objections motivées et nous proposerons des amendements.
Mais, avant d'aborder cette étude détaillée, je tiens à exprimer devant les représentants de notre peuple, notre profonde déception devant la démarche unilatérale du Ministère de l'Outre-mer et notre opposition résolue au projet rétrograde qu'il veut faire adopter par le Parlement.
Quelle ignorance méprisante de notre Histoire ! La place de la Polynésie au sein de la République n'est pas un sujet simple que quelques juristes et un Ministre qui ne nous connaissait même pas il y a six mois peuvent traiter en quelques jours du fond de leurs bureaux parisiens.
L'autonomie de la Polynésie n'est pas une variable d'ajustement que le gouvernement central peut accroître ou réduire en fonction de ses propres analyses. L'autonomie c'est une lente conquête, c'est une solution originale mais difficile pour concilier deux aspirations contradictoires : notre attachement à la France et la volonté de tous les Polynésiens de se gouverner eux mêmes. L'article 1 du statut de 2004 le proclame sans ambiguïté : " la Polynésie française est un pays d'outre-mer qui se gouverne librement et démocratiquement ". La Polynésie française n'est ni un département, ni une région, ni un terrain d'expérimentation pour des bureaucrates parisiens.
L'autonomie c'est la ligne de crête entre deux précipices, la voie du succès entre deux impasses. L'autonomie c'est la réconciliation et l'harmonie entre tous nos héritages. L'autonomie c'est la seule façon pour les 260 000 habitants de la Polynésie de continuer à vivre ensemble. L'autonomie est une nécessité, pas seulement à cause de notre éloignement, mais surtout en raison de notre identité culturelle que nous voulons préserver à tout prix. Nous avons une population différente, une langue que nous voulons continuer à utiliser aussi bien en privé que dans la vie publique, une façon de vivre ensemble qui n'a rien à voir avec les habitudes européennes.
Nous avons eu de nombreuses élections. Elles ont montré, sans contestation possible, qu'il existait, dans notre population, une aspiration majoritaire à l'autonomie au sein de la République française et une aspiration, minoritaire mais significative, à une totale indépendance. Mais je n'ai pas vu un seul parti, un seul candidat, se présenter devant les électeurs en disant qu'il souhaitait une régression de l'autonomie et un alignement de la Polynésie française sur les départements ou les régions de métropole.
A moins que notre débat aujourd'hui ne révèle qu'il y a dans notre Assemblée des partisans d'un alignement de la Polynésie sur les départements métropolitains. S'il y en a, qu'ils se montrent au grand jour et qu'ils assument leur position lors des prochaines élections. Les représentants qui voteront en faveur de ce projet de loi veulent mener notre pays à la départementalisation. C'est une trahison envers notre identité. C'est une trahison envers le combat que tous nos responsables politiques ont mené depuis des décennies pour faire reconnaître par l'Etat notre droit à nous gouverner librement et démocratiquement.
Et, S'il n'y a pas de " départementalistes " parmi nous, alors, sur quoi et sur qui s'appuie le ministère de l'Outre-mer pour nous présenter un projet de loi qui restreint notre autonomie ? Je sais qu'il prétend que c'est faux, ce qui lui évite d'avoir à justifier sa position. Mais il ne faut quand même pas nous prendre pour des imbéciles. Lorsque, par exemple, l'article 80 attribue au haut-commissaire une compétence qui appartient aujourd'hui à notre conseil des ministres, ce n'est pas une régression de l'autonomie ? Et il ne s'agit pas d'un détail, la compétence qui est attribuée au haut-commissaire par l'article 80 lui permet de déclarer notre gouvernement démissionnaire s'il estime que le président est absent ou empêché. Et la suppression de la motion de censure, ce n'est pas une limitation de notre autonomie et, plus précisément, des pouvoirs de notre assemblée ?
En réalité la volonté de restreindre notre autonomie transparaît dans l'ensemble du projet de loi. On cherche à gommer la spécificité de notre statut et on nous applique, chaque fois que c'est possible, le statut des régions ou des départements.
Je n'exagère pas, je ne caricature pas. Regardez l'article 144-1 du projet de loi. Son deuxième alinea prévoit que, je cite, " Le projet de budget de la Polynésie française est préparé et présenté par le président de l'assemblée de la Polynésie française… ". C'est évidemment complètement idiot. Chez nous, le budget est de la responsabilité du gouvernement, il ne peut être préparé, présenté et défendu que par le gouvernement. Vous imaginez Edouard Fritch responsable de la préparation, de la présentation et de la défense du budget du gouvernement d'Oscar Temaru ? C'est stupide. Mais cette ânerie monumentale du projet du ministère de l'Outre-mer se comprend parfaitement si on regarde le statut des régions en métropole où il n'y a pas de gouvernement mais une assemblée dont le président a naturellement la responsabilité de préparer et de présenter le budget. Cette grosse gaffe est inquiétante parce qu'elle témoigne de la précipitation, de la légèreté et de l'amateurisme qui caractérisent l'ensemble de ce projet de loi. Mais elle est surtout révélatrice des intentions des commanditaires du projet. Ces intentions sont malheureusement très claires : on veut réduire l'autonomie de la Polynésie française, on veut nous retirer des responsabilités que le législateur nous avait confiées. On nous juge incapables et indignes de nous gouverner nous-mêmes. On pense que l'instabilité que nous vivons depuis trois ans démontre notre incapacité à exercer les responsabilités que la loi de 2004 nous donnait.
Mais, si mes souvenirs sont bons, la République française, entre 1945 et 1958, c'est-à-dire pendant 13 années, a vécu dans une instabilité permanente avec des élus girouettes, des renversements d'alliance, des gouvernements qui ne survivaient que quelques semaines. Est-ce que les citoyens français auraient accepté qu'on leur dise qu'ils étaient incapables et indignes de se gouverner eux-mêmes? Non, évidemment. Les Français ont traversé cette longue période d'instabilité et ils ont trouvé eux-mêmes la solution en créant la V° République. Pourquoi veut-on, aujourd'hui, empêcher les Polynésiens d'assumer leurs responsabilités, de résoudre leurs contradictions et de trouver eux-mêmes les solutions qui leur permettront d'assurer la stabilité de leurs institutions ? Ce n'est pas en réduisant nos responsabilités qu'on nous permettra de progresser. Les électeurs polynésiens ne sont-ils pas capables de tirer les leçons de ces trois dernières années et d'élire une majorité stable et compétente ? Nous demandons qu'on nous fasse confiance. Et ce projet de loi est, au contraire, un acte de défiance à notre égard.
Le statut de 2004, que le Ministère de l'Outre-mer veut détruire en quelques traits de plume, est, non pas l'aboutissement final, mais une étape particulièrement importante dans un processus ininterrompu depuis trente ans, celui de l'autonomie de la Polynésie française au sein de la République. Les principales étapes de cette lente construction ont été marquées par les lois organiques de 1984, 1996 et 2004. J'ai vécu chacune de ces étapes, j'en ai été un des acteurs et même l'initiateur. Car ce n'était pas l'Etat qui décidait tout seul de concocter et de nous imposer un nouveau statut. C'est nous qui demandions à l'Etat de préparer, en concertation avec nous, une nouvelle loi organique pour renforcer notre autonomie en nous transférant de nouvelles compétences. Les seules questions que nous nous posions et qui faisaient débat étaient : jusqu'où pouvons nous aller aujourd'hui ? Jusqu'où pourrons-nous aller demain pour donner le maximum de responsabilité aux Polynésiens sans remettre en cause notre appartenance à la république française ? Jamais, depuis que je participe à la vie politique polynésienne, l'Etat n'a tenté de revenir en arrière dans ce processus d'élargissement de l'autonomie. Et, parmi nous, j'ai entendu plusieurs fois des responsables politiques demander une pause statutaire. J'ai moi-même déclaré à plusieurs reprises que le statut de 2004 correspondait à nos besoins pour le présent et pour l'avenir proche et qu'il ne serait ni nécessaire ni souhaitable d'aller plus loin pendant quelques années. Mais je n'ai encore jamais entendu un élu polynésien demander une régression de l'autonomie. Depuis le début de notre véritable autonomie, c'est-à-dire depuis la loi de 1984, qui a conféré pour la première fois à un élu polynésien la responsabilité de présider un vrai gouvernement, avec de vrais ministres et des attributions individuelles, notre statut a fait ses preuves. Les élus polynésiens ont prouvé qu'ils étaient capables d'exercer les compétences qui leur étaient confiées.
Notre pays a fait plus de progrès depuis qu'il est dirigé par ses propres élus que pendant un siècle de Gouverneurs et de tutelle directe de l'Etat. Qui pourrait le nier ? Tous les chiffres le prouvent : la croissance économique, les équipements publics, le taux de scolarisation, la qualité de la santé publique, l'efficacité de la solidarité sociale. Et aujourd'hui on vient nous dire que nous ne sommes plus capables de nous gouverner et qu'il faut nous encadrer, nous guider et nous surveiller de près.
Je suis convaincu qu'aucun Polynésien n'a pu demander un tel retour en arrière.
La conclusion qui s'impose, c'est que le Ministère de l'Outre-mer a décidé seul, sans s'appuyer sur une demande d'élus polynésiens, sans aucune concertation avec les forces politiques de notre pays, de remettre en cause les progrès accomplis depuis trente ans.
Et ceci est inacceptable. Jamais l'Etat n'oserait présenter un projet de loi qui réduirait les compétences que les départements et les régions ont acquises depuis la décentralisation de 1982. Alors pourquoi nous traiter avec un tel mépris ? Nous considère-t-on encore à Paris comme des indigènes colonisés qui sont incapables de savoir ce qui est bon ou mauvais pour eux et qui doivent attendre que les bureaucrates parisiens décident ce qu'ils ont le droit de faire ?
Ce n'est pas la rédaction de tel ou tel article qui justifie ma critique. C'est l'esprit même dans lequel ce texte a été préparé qui appelle un refus catégorique de la part de notre assemblée.
Depuis trente ans, toutes nos évolutions statutaires ont été demandées par les élus polynésiens et préparées en concertation avec eux. Depuis trente ans, toutes nos évolutions statutaires sont allées dans le sens d'un accroissement de notre autonomie, de nos compétences et de nos responsabilités. Nous ne pouvons pas accepter la régression que le secrétaire d'Etat veut nous imposer.
Le Tahoeraa Huiraatira votera donc contre ce projet de loi. Et j'ose espérer que notre assemblée le rejettera à l'unanimité, non pas en raison d'un ou de plusieurs articles en particulier, mais parce que nous devons affirmer avec force que le statut de la Polynésie française ne peut pas être modifié sans l'assentiment des Polynésiens.
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